La compagnie québécois Aluma, lauréate de l’appel à projets Odyssart 2023 présente son spectacle, HUDU, une création théâtrale destinée à un jeune public avec troubles du spectre de l’autisme (TSA). Cette création est le fruit de plusieurs résidences artistiques en France et au Québec, avec des artistes français, québécois et tunisiens.
Destiné à un jeune public avec troubles du spectre de l’autisme (TSA), Hudu est une création théâtrale visant à monter un spectacle vivant alliant danse, musique en direct et marionnettes. Lucile Prosper de la compagnie de théâtre québécoise Aluma travaille de concert avec la dramaturge Juliette Parmantier et le musicien Aymen Ben Attia à la création du spectacle. En juillet 2023, Lucile Prosper a pu rencontrer des acteurs français du milieu médical entourant les troubles du spectre de l’autisme, accompagnée de sa dramaturge. En novembre 2023, une équipe composée d’artistes québécois, tunisiens et français a passé deux semaines en résidence de création à l’École de l’Étincelle dans la région de Montréal au Québec.
Un documentaire portant sur le travail effectué durant cette résidence est attendu pour décembre 2023. Le 11 décembre prochain, deux semaines de résidence de création auront lieu dans la ville du Mans en France en partenariat avec l’association ACTES.
Le spectacle Hudu sera présenté au public durant l’année 2024 au Québec, en Tunisie, puis en France.
Mise en scène et neurodiversité, un nouveau créneau pour Aluma
Le projet Hudu part du constat que malgré de réelles améliorations en termes d’accessibilité des lieux culturels pour le public handicapé, les spectacles qui y sont joués ne sont pas construits en pensant à leurs besoins particuliers. Hudu cherche donc à offrir une expérience théâtrale sur mesure créée spécialement pour plaire aux jeunes atteints de troubles du spectre de l’autisme.
Le programme Odyssart permet à la compagnie Aluma d’organiser des résidences de création en France et au Québec. En travaillant la conception du spectacle en insertion dans des établissements éducatifs spécialisés comme l’Étincelle, les membres de l’équipe peuvent saisir les particularités uniques des jeunes avec TSA. Plusieurs représentations ont également été effectuées avec les jeunes de l’école. Cette étape est cruciale afin de créer une œuvre accueillante et adaptée.
La compagnie Aluma
Aluma est une compagnie de théâtre nomade qui a vu le jour en 2019. Œuvrant dans leur caravane-théâtre sur les routes du Québec et de la France, Lucile Prosper et Mathieu Marcil présentent des pièces classiques réinventées et des créations originales, toujours ancrées dans l’actualité. La compagnie poursuit également le projet de rester flexible dans ses mises en scène afin de pouvoir toucher des publics variés, parfois en régions éloignées des centres culturels.
Membres de l’équipe du projet Hudu
- Juliette Parmantier, dramaturge
- Juliette Malgrange, musique
- Marion Taillard Carrez
- Martine Castera, danse
- Benoît Ruel
- Olivier Rousseau, danse
- Aymen Ben Attia, musique
Questions aux lauréats
Comment est né le projet Hudu ?
Aluma essaie d’aller à la rencontre de TOUS les publics, et particulièrement des publics oubliés. Une étincelle était déjà allumée en moi depuis quelques années. Le feu s’est réellement allumé lorsque j’ai fait mon premier atelier de 12 semaines auprès d’adultes déficients intellectuels, dont certains TSA. J’ai eu un coup de foudre pour ce public qui voit tout simplement la vie autrement, avec un regard juste et une capacité hors norme de vivre dans le présent. C’est ainsi que je me suis lancé dans le projet HUDU.
Comment se sont déroulées les mobilités réalisées au cours de la dernière année ?
Ma première mobilité en France était simple, mais très enrichissante. Elle m’a permis de mieux comprendre dans quel sens était « étudié », « géré » l’autisme en France. La vision est très différente entre la France et le Québec (bien entendu, aussi en Tunisie) et donc les façons de travailler avec ce public aussi. Nous avons pu, avec ma dramaturge française, travailler au développement d’un projet qui a pioché dans les trois manières de faire en fonction de ce qui nous semblait le plus important pour la création avant tout.
Pour la mobilité réalisée au Québec, une artiste est venue de France et un autre de Tunisie. L’échange a été très naturel. Pour Juliette, la dramaturge, la richesse s’est trouvée dans la découverte du système québécois, qui est différent du français sur le plan de la création, mais aussi de l’enseignement auprès des publics TSA. Cela est certainement, pour elle, un des points forts de ce voyage.
Avez-vous fait des rencontres surprenantes ou enrichissantes ?
Chaque rencontre est enrichissante ! Toutes les personnes qui nous ont accompagnées dans le processus de création à l’École de l’Étincelle ont été exceptionnelles. Solène Breteau, de l’association ACTES dans la Sarthe, fait un travail de fou pour nous alléger au maximum mes recherches. Elle nous permet surtout de rencontrer un maximum d’associations qui travaillent avec notre public-cible.
Je pense qu’une des forces de ce projet est l’enthousiasme des équipes qui travaillent avec les publics TSA et l’énergie déployée pour nous aider dans sa mise en place.
Comment adapte-t-on la mise en scène pour répondre aux besoins de jeunes possédant un trouble de l’autisme ?
On n’adapte pas, on pense autrement dès le départ. Ce n’est pas le public qui doit s’adapter à des normes (par exemple : s’assoir dans un public, ne pas parler pendant la représentation, ne pas trop bouger pour ne pas déranger son voisin), mais bien les interprètes qui doivent réagir au public. Une personne TSA est unique. Chacune de ces personnes va réagir différemment à l’ensemble des stimulations (matière, lumière, musique, bruit, mouvement, personne, marionnette). Leur plaisir peut s’exprimer par divers comportements, comme par le cri, par un mouvement répétitif des mains, par un saut ou même un crachat… Vous avez aussi auprès de vous des personnes hypersensibles : à la lumière, au son, au toucher, aux autres… Le spectacle n’est donc pas seulement un tableau en mouvement, mais aussi un moment de jeu avec un bout de tissus, une exploration sonore du bruit d’une percussion…
Jouer pour un public TSA c’est aussi interpréter un canevas en étant dans une écoute perpétuelle de son public afin de savoir si on peut continuer, si on doit s’arrêter parce qu’il y a trop de stimulations, si on peut s’approcher ou non… L’interprète de Hudu joue un personnage et analyse de façon très neutre dans un coin de sa tête la scène dans laquelle il évolue pour répondre aux besoins de chacun et de chacune.
Quelle est l’importance d’une mise en scène multidisciplinaire et vivante pour les jeunes possédant un trouble de l’autisme ?
D’après les retours des profs de l’Étincelle, Hudu a été magique pour l’ensemble des spectateurs. Certains ont été calmés, d’autres ont dépassé grandement des stress qu’ils ont au quotidien (aller vers un étranger, se laisser toucher, passer une porte et aller dans une pièce sombre), d’autres ont changé d’émotions drastiquement pour le reste de la journée (dans le positif) et certains ont pris énormément de plaisir alors qu’habituellement rien ne semble les intéresser.
La multidisciplinarité n’est certainement pas nécessaire. C’est un choix artistique de ma part. C’est la mission que nous avons donné à la compagnie de travailler autour de la marionnette et d’y mélanger la danse, le théâtre et la musique. Mais c’est certainement une force pour un public TSA puisque chacun à ses stimulations personnelles : l’un peut être très musical, l’autre amateur de texture et donc stimulé par le toucher. En mélangeant les disciplines, vous avez plus d’outils pour connecter avec eux, pour les embarquer avec vous.
Le toucher est un point important des personnes TSA. Changer de texture, toucher du papier bulle pour se recentrer ou découvrir une forme par les mains. Comment faire autrement qu’à travers un spectacle vivant ? La lumière semble aussi être une chose très attractive, tout comme la musique. Dans un spectacle vivant, vous avez toutes ces propositions dans un même espace et de façon réfléchie.
Que ce soit pour les personnes ayant un TSA ou celles dites neurotypiques, Hudu est un moment de partage qui plaît, qui apaise et qui émeut aussi.
Quelle sera la continuation du projet Hudu ?
Février 2024 : Hudu a été sélectionné pour être présenté au grand marché de vente de spectacle RIDEAU à Québec. C’est une belle façon de rencontrer des diffuseurs.
Mai 2024 : Nous présenterons Hudu à des diffuseurs québécois grâce à l’accueil de la Maison de la culture Janine-Sutto à Montréal. Nous commencerons aussi pendant cette résidence l’adaptation pour les publics dits neurotypiques.
Octobre 2024 : Nous allons certainement aller à Gaïa, une association pour les personnes handicapées que j’ai rencontrée en juin 2023. Du 14 au 18 octobre, nous serons à Anis Gras (Arcueil, France) pour la dernière partie de la résidence d’adaptation, mais surtout pour des présentations de Hudu dans ses versions finales.
Comment les savoirs-faire français, québécois et tunisiens se complètent-ils lors de la création de ce nouveau spectacle multidisciplinaire ?
J’ai choisi les artistes pour leur talent, pas pour leur origine. Il est certain que chaque parcours de vie, chaque origine, chaque culture teinte les individus, pourtant j’ai choisi finalement de ne pas mettre de l’avant nos différences, mais juste de les laisser influencer de façon naturelle le travail. Le choix des pays est d’ordre social/médical ; la France, le Québec et la Tunisie n’ont pas le même rapport à l’autisme et c’est dans cette vision de la prise en charge de ce trouble que je trouve l’échange des trois cultures différentes. J’aime cette idée de puiser dans les visions de chacun en fonction de nos besoins. C’est ce qui rend le spectacle plus riche à mon avis.
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